Beatrice
Celli
Pandæmonium
Un Pandémonium est une situation chaotique et désordonnée, un ensemble de sons confus se mêlant à des voix déformées, un tumulte désorientant d’images échevelées qui remuent et se pressent dans une perturbation anarchiste qui génère la perplexité et l'incertitude. Pandaemonium est le nom que John Milton choisit pour la capitale de l'enfer dans son “Paradise Lost”, cette forteresse dans laquelle Satan et tous les mauvais esprits se rassemblent e ils préparent une armée qui entreprend de détruire le monde terrestre par sa corruption. Déjà dans le titre de l'exposition, l'artiste démontre d’avoir voulu esquisser et évoquer des images et des personnages qui reflètent la tension profonde d'un esprit libre qui ne se laisse pas brider par les trames du monde constitué mais cherche son propre espace d’évasion et d’indépendance, ne voulant pas se compresser dans un schématisme limitant e paralysant.
Placé dans le contexte historique dans lequel l’autrice crée l’installation, cependant, le terme pandaemonium crée un jeu subtil d'assonance avec un mot d'actualité: le mot pandémie qui ne partage rien avec pandaemonium étymologiquement mais qui lui ressemble tellement dans le son. Le lien entre Pandaemonium et pandémie est voulu et recherché et élargit le sens même de l'exposition en l'ouvrant à d'autres contenus e suscite des sentiments égaux et opposés: la pandémie comme pandémonium crée de la confusion, génère des peurs, subvertit l'ordre des choses, désoriente et choque; cependant, la pandémie entrave l’humaine confusion et, à ceux qui l'ont vécu, cela évoque plus d'images de solitude et de villes désertes que le chaos de la capitale infernale.
Dans l'installation, le Pandaemonium prend vie grâce à la juxtaposition d'objets et d'images profondément hétérogènes qui trouvent leur seul lien dans la représentation des superstitions, angoisses et peurs, qui deviennent l'histoire d'une culture populaire avec une colocation précise dans le temps et dans l'espace mais qui s'élève à concrétisations de ce que sont les peurs de l'homme de tout âge et de tout culture. L'exaltation du chaos démoniaque se produit également à travers l'utilisation de matériaux profondément différents, du charbon, à la céramique, du bois, aux matières textiles, qui se fondent dans un résultat organique qui ne crée pas de désorientation en soi, mais à travers ce que le matériau lui-même, et l'image qu'il crée, évoque.
Chaque matière première a derrière elle son histoire, son lien avec la culture et la tradition d'origine, une spécificité; et la combinaison de matériaux crée un effet multi-sensoriel et une variété de poids, de lumières, d'odeurs et de textures. L'utilisation et la conversion des objets vécus et appartenant concrètement à ce monde auquel l’artiste s'inspire et ressuscite dans ses oeuvres font encore plus de cette exposition une histoire tangible d'un passé qui revient avec force comme bagage préservé et hérité. Dépositaire de ce substrat, il semble être pour l'artiste la femme, dont l'histoire personnelle intime apparaît indirectement dans le drap brodée, dans la dentelle, dans le col. Même dans la simplicité des lignes et des formes et dans la spontanéité marquée des installations, renforcée par l'utilisation de matériaux pris ainsi que la forêt et la rivière les offrent, l'exposition réussit à réaliser cette idée de désordre anarchiste, d’agitation désordonnée et confusion chaotique que le “Pandémonium” rappelle. Les images possèdent non seulement un vigoureux pouvoir visuel mais aussi un puissant force évocatrice qui semble déclencher une confusion bruyante qui se réalise dans le bruit et le tumulte. Symbolique dans ce sens est la présence des cloches, presque une invitation pour ceux qui observent l'installation à concrétiser ce bruit, à déclencher le chaos.
Le regard de l'artiste sur les peurs si concrètement matérialisées, et qui prennent corps et la vie dans les oeuvres singuliers, est néanmoins profondément ironique, presque désamorçant; donc les dentelles ornent un démon autrement terrifiant et les étoiles filantes tempèrent et se moquent de la terreur de la nuit et des ténèbres. La main de l'artiste intervient donc sur ces peurs, et elle le fait avec puissance, avec un sentiment de détachement presque froid qui devient une sorte d'invitation à dépasser la limite imposée par l’angoisse, de l'agitation et de la perturbation de l'âme, une exhortation au dépassent de la frontière engendrée par l'irrationalité et par ce qui échappe au contrôle humain. Les oeuvres individuelles acquièrent alors une quasivaleur apotropaïque, comme celle d'une gargouille debout sur le rebord d’un cathédrale pour éloigner les mauvais esprits. Voici donc que l’exposition Pandaemonium prend un autre sens, complètement opposé à sa signification plus directe et immédiate, ou la concrétisation des démons, des peurs et du pouvoir de l'irrationnel, et devient presque un outil pour supprimer et exorciser les inquiétudes du temps présent.
Alessia Di Stefano
Tr. depuis l'italien de Beatrice Celli